Jacky MARIE
53 ans après avoir appris à écrire "maman".
Mis à jour le 11/04/2025

Le livre des attentes
Vous avez tous contracté dans votre vie la maladie la plus douce et la plus redoutable à la fois, la plus sereine et la plus orageuse, l’attente. C’est un virus que vous soignez par des étirements, par un café de distributeur, en discutant, en attrapant un livre ou votre téléphone mobile, mais elle continue sans cesse à augmenter votre fièvre. Vous rougissez, vous ne tenez plus en place, et, soudain, c’est votre tour dans la file, telle ou telle personnes arrive, le match commence. Le virus est finalement vaincu et vous n'êtes que convalescent. Quand reviendra-t-il dans vos veines pour rallumer le feu qui consume le temps ?
Je suis, comme vous, fréquemment atteint d’attente. Je lis un livre que j’ai apporté ou un magazine qui traîne sur une table ou une brochure publicitaire, je consulte des actualités sur mon téléphone portable, je joue, toujours sur mon smartphone, et, quelques fois j’écoute, j’observe et je note. L’attente devient alors un petit animal de compagnie, tout jeune, tout mignon. J’aimerais qu’il reste auprès de moi plus longuement, que je puisse l'apprivoiser, qu’il me laisse plus de temps de finir d’écrire, de relire et de corriger. Misère, je dois refermer mon calepin.
Vous découvrirez dans ce recueil les petites attentes que j'ai scribouillées en toute hâte, des petites esquisses.
Pension Salamanca. Salamanque, 17 février 2024. 16h30.
Sur le lit de la pension Salamenca, des milliers de serpents liquides courent dans les murs, l'eau grouille et plonge dans les canalisations d'une salle de bain au-dessus de moi. Les clapotis ne couvrent pas la rumeur lourde et sèche de la rue. Les volets sont fermés, mais le souffle des voix submerge mon lit. Je me noie dans les secondes qui s'évaporent.
Dans une autre chambre de la pension, ma fille enfile des vêtements et je demande combien de bras et de jambes possède-t-elle en réalité?
Santaglobaria Cofee. S. 18. 9h15.
Je devine sa petite boule grise se détacher des volutes de sa cigarette entre deux chaises hautes en skaï gris et le plateau de bois foncé. Un bébé chouine au fond de la salle, un autre, dans les bras de son père, est assoupi, bien au chaud dans sa couverture rose, ce doit être une fillette. Les sourires des gens qui font la queue au comptoir sont encore figés dans le sommeil, en repos, gardés pour plus tard comme un pourboire. Les cuillères tintent contre les tasses, on parle espagnol, évidemment, je ne comprends rien. Je balance mes tennis blanches au rythme de la radio.
Un jeune couple reste planté devant le menu affiché comme une enseigne, près du plafond. Ils se regardent, s’interrogent de la pupille, leur incompréhension s'éternise. Des touristes.
Un caniche tire une jeune femme dans l'allée qui sépare les tables du comptoir.
Plaza mayor. S. 18. 11h27.
Un groupe de filles entre en file indienne dans le café américain Starbucks, cheveux longs, lisses, tombant sur un blouson doudoune noir, tous pratiquement identiques. La mode ou le mimétisme? L'appartenance à une sororité? Une procession de la religion consumériste.
Le ballon rebondit et tombe dans une flaque au creux des pavés, l'enfant parle gaiement à son père.
Un homme se mouche et cela me fait tousser dans la petite brise. Il s'exprime en français. Je ne prête pas attention à la conversation.
Le soleil attend que la valise de ma fille se remplisse de ses effets de nomadisme de loisirs pour pointer à son zénith, il fait frais. Entre les arcades, au-dessus des colonnes, les médaillons peints sont effacés par le temps, on ne devine plus les visages, à peine les contours, des fantômes du passé qui peinent à exister. Je pense à ma mère, tous les jours, je m'efforce de détailler son visage, je ne veux pas qu'il s'efface de ma mémoire.
Une petite fille aux chaussures rouges, pas plus haute que quatre ballons, porte avec fierté l'immense sphère remplie d'air, elle regarde sa mère avec exploit.
Un éléphant, carapacé d’acier peint, aspire, par sa trompe en plastique amati et jauni, les mégots et les papiers jetés la veille.
Pas de chapitre.
Ce recueil est accessible dans son intégralité et sera mis à jour régulièrement.