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Le livre des attentes

Vous avez tous contracté dans votre vie la maladie la plus douce et la plus redoutable à la fois, la plus sereine et la plus orageuse, l’attente. C’est un virus que vous soignez par des étirements, par un café de distributeur, en discutant, en attrapant un livre ou votre téléphone mobile, mais elle continue sans cesse à augmenter votre fièvre. Vous rougissez, vous ne tenez plus en place, et, soudain, c’est votre tour dans la file, telle ou telle personnes arrive, le match commence. Le virus est finalement vaincu et vous n'êtes que convalescent. Quand reviendra-t-il dans vos veines pour rallumer le feu qui consume le temps ? 

Je suis, comme vous, fréquemment atteint d’attente. Je lis un livre que j’ai apporté ou un magazine qui traîne sur une table ou une brochure publicitaire, je consulte des actualités sur mon téléphone portable, je joue, toujours sur mon smartphone, et, quelques fois j’écoute, j’observe et je note. L’attente devient alors un petit animal de compagnie, tout jeune, tout mignon. J’aimerais qu’il reste auprès de moi plus longuement, que je puisse l'apprivoiser, qu’il me laisse plus de temps de finir d’écrire, de relire et de corriger. Misère, je dois refermer mon calepin.

Vous découvrirez dans ce recueil les petites attentes que j'ai scribouillées en toute hâte, des petites esquisses.

Gare Saint jean bdx. 17 mars, jour anniversaire de Marie-Laure. 22h57

Des hommes seuls sont assis au sol, le dos contre les murs de pierre, des sacs à leur côté. Il n'y a plus de départ, je me demande s'ils sont empêchés de domicile.

Je ne peux pas lire, mais écrire, je vaincs mon handicap, je le peux sans mes lunettes, je les ai oubliées à la maison. J’écris sans rien voir, vais-je arriver à me relire? L'esprit veut toujours plus que le corps.

Un couple tente d'acheter des billets sur une borne automatique, ou cherche-t-il des renseignements? Je ne vois que la femme, jean, imper vert, petit sac noir en bandoulière, baskets grises avec trois bandes blanches, elle est brune, queue de cheval, la jolie trentaine. La pointe d’une basket blanche dépasse du guichet numérique. Est-ce une femme ou un homme qui accompagne l’imper vert?

"Voie 3" apparaît après le nom Marseille Saint-Charles sur l’écran numérique des arrivées, le chiffre est encadré d’un liseré carré.

Voie 3, je suis seul. Au sol, des cercles peints en blanc, vestiges de la période pandémique de la COVID où l’autre ne pouvait pas être approché à moins d’un mètre, méfiance de la contagion, bêtise de la séparation. Des fantômes attendent dans ces bulles de mauvais souvenirs, je les sens qui me regardent, ils se plaignent, ils veulent s’échapper, fuir le passé.

Il n’y a aucune publicité sur les quais. La présence des consommateurs est trop éphémère, le retour de la semelle sur le sol trop impatient de parcourir les derniers mètres de la destination finale. Un lit dans un hôtel, une femme dans un appartement, un enfant, un chat.

Un cri de ferraille, piquant, tout en longueur, rouge et gris, me fait tourner la tête. Deux yeux ronds en feu me fixent et s’approchent de plus en plus doucement.

Mérignac. Parking de la Perlerie. Le 22 mars 2024, le soleil éclabousse les immeubles blancs.

Une portion, un segment, un morceau, seulement un bout de route devant moi, les véhicules naissent et disparaissent, les gens aussi, ils vont, les oreilles obstruées de plastique ou de coussinet, on n’écoute plus le monde. La plupart sont seuls, vieil adolescents pour les plus jeunes, jeunes retraités pour les plus âgés, hommes et femmes confondus. J’étudie, tel un ORL, les pavillons, un seul est visible, le gauche ou le droit suivant le sens de la marche. Les générations les plus récentes que je me mets à appeler les ermites, sont toutes enfermées dans leur coquille sonore, transportant, je le présume, un refuge, un petit monde personnel qui les rassure. A-t-on tant défiguré le monde qu’il est nécessaire de s’isoler de lui? Où sont les chants des oiseaux, le bourdonnement des insectes?

Un scooter strident me sort de ma réflexion, un sifflement de Tesla, un clapotement de diesel, un grondement d’autobus, j’écoute la rue.

Je reprends mon investigation pavillonnaire sur des nouveaux sujets, les occupants des coquilles mobiles. Je suis étonné, plusieurs conducteurs ont des implants auriculaires, avec ou sans fil, la plupart blancs. Les ondes radio, toutes les voitures possèdent des postes de radio, sont aussi un monde à exclure, je comprends. Pour ma part, j’ai l’angoisse du spot publicitaire, le stress de la parole idiote, la peur de l’info déloyale. Dans les transports en commun, à travers les vitres fumées, j’observe: la majorité sont plongés dans leurs intimes diffusions sonores, la plupart regardent des mondes lointains, des actes passés, leur présent est une bulle. Le futur ne peut pas exister si on ne le rêve pas, si on ne le pense pas, si on ne le regarde pas, mais, le temps d’écrire, je sais que le futur est déjà passé et je me rapproche un peu plus de ma fin.

Le parking, des barreaux en fer, le premier trottoir, les deux voies de circulation, l’autre trottoir, un grillage, la pelouse autour des immeubles, un ouvrier paysagiste pousse la tondeuse, un gros casque rouge sur les oreilles, il se protège. Tout le monde se protège, évite les bruits, évite les autres, croit à la sécurité.

Les premières chaleurs printanières ont fait tomber les vestes, les blousons, les pulls et les sweats. Les vêtements pendent, informes, sur les sacs ou les bras, la matinée devait être fraîche.

Ceux qui ne sont pas ermites, sont zombies. Sans les appendices auriculaires, ils sont confrontés aux résonances, aux pensées vagabondes. Ils déambulent, tristes et fatigués, broyés par cet espace, dur, sec, cet air épais, cet environnement stérile. La nature n’existe que pour celui qui coupe l’herbe de la sauterelle, le pissenlit du puceron, la pâquerette du papillon, il n’y aura bientôt plus rien. Nous sommes morts.

Pôle santé, Le Porge. 22 mars 2024. 11h17

Pas envie.

Pas de chapitre.

Ce recueil est accessible dans son intégralité et sera mis à jour régulièrement. 

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