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Le livre des attentes

Vous avez tous contracté dans votre vie la maladie la plus douce et la plus redoutable à la fois, la plus sereine et la plus orageuse, l’attente. C’est un virus que vous soignez par des étirements, par un café de distributeur, en discutant, en attrapant un livre ou votre téléphone mobile, mais elle continue sans cesse à augmenter votre fièvre. Vous rougissez, vous ne tenez plus en place, et, soudain, c’est votre tour dans la file, telle ou telle personnes arrive, le match commence. Le virus est finalement vaincu et vous n'êtes que convalescent. Quand reviendra-t-il dans vos veines pour rallumer le feu qui consume le temps ? 

Je suis, comme vous, fréquemment atteint d’attente. Je lis un livre que j’ai apporté ou un magazine qui traîne sur une table ou une brochure publicitaire, je consulte des actualités sur mon téléphone portable, je joue, toujours sur mon smartphone, et, quelques fois j’écoute, j’observe et je note. L’attente devient alors un petit animal de compagnie, tout jeune, tout mignon. J’aimerais qu’il reste auprès de moi plus longuement, que je puisse l'apprivoiser, qu’il me laisse plus de temps de finir d’écrire, de relire et de corriger. Misère, je dois refermer mon calepin.

Vous découvrirez dans ce recueil les petites attentes que j'ai scribouillées en toute hâte, des petites esquisses.

Sur un boulevard au nom d'un président américain. Talence, quinzième heure du quinze mars.

Cabinet dentaire de bois et de verre, peinture noire, bien sûr, c'est plus cossu, de tons vert foncé et clair.

C'est l'heure des vieux, des boomers retraités, j'ai l'impression de vivre chaque jour dans un EHPAD. Je vois la mort qui grignote les corps tout autour de moi et je sens déjà sa morsure dans mes cuisses, mes épaules, mes cervicales douloureuses.

Près du clocher, en haut de St Émilion. 14h59, le jour de la célèbre capitulation de mai.

Les rires tombent des parasols sur les visages aux ombres lumineuses. Si le travail rend heureux, rien faire rend gai. Les familles, les couples et les amis, se voir, parler, rire, il n’y a pas besoin de conjugaison pour s’aimer.

Le pavé coquin crochète le pied d'un serveur, ses bras cisaillent le beau temps pour retrouver l'équilibre. Emporté par le geste, l'appareil de paiement par carte bancaire échappe à sa main et symphonise le sol de dizaines de chocs mous ou fermes de ses différents plastiques, tacatacatac, boum, badaboum.

Un homme tout droit sorti d’un magazine de propriétaire de yacht débarque sur la place, grand, mince, buriné à l’orange brun des soleils artificiels, cheveux gominés et tirés en arrière, veste cintrée. Il semble désorienté dans cet univers de touristes populaires, il a à son bras la merveilleuse silhouette d’une courtisane. Elle attire l’œil moqueur des têtes qui se tournent, seins hauts et proéminents, chirurgicaux, jambes interminables, fesses bombées aux sports de salle ou aux implants, jupe très courte et veste en cuir sur crop top tendu par cette poitrine omniprésente, talon aiguilles incertains sur l’irrégularité des cubes de granit. Deux générations séparent le couple, peut-être trois, c’est risible, une caricature.

Je tente de chasser mes idées mauvaises du vieux beau et de la bimbo, je m’invente un père et une fille, je baisse le regard, honteux, naïf, je me bats contre ma curiosité malsaine, mon voyeurisme, ma médisance.

Je relève la tête, furieux de moi, je me précipite par-dessus le parapet de pierre, je jette mon regard et mon âme dans le panorama des vignes et des haies, des monts et des hameaux. Je fuis dans la contemplation.

Une rue piétonne de Libourne, à l'approche de midi.

Statistiquement, le bras droit porte plus souvent les sacs de marchandises que son pendant de gauche.

Une trottinette peu gonflée cahote sur les pavés, des poussettes, des chariots à commission, ça roule. Un couple de curieux se tient la main, leurs têtes en girouette dans le vent des modes exposées en vitrines.

Une femme en robe fuchsia gorgée de fleurs marche les bras croisés, à environ quatre pas derrière un homme, lui aussi tenant son poignet droit avec sa main gauche posée sur ses vertèbres. Un couple qui se fait la gueule, le mimétisme ou le hasard.

En écrivant ce texte, je devine que j'ai loupé plein de culs empochés de smartphone

Pas de chapitre.

Ce recueil est accessible dans son intégralité et sera mis à jour régulièrement. 

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