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Le livre des attentes

Vous avez tous contracté dans votre vie la maladie la plus douce et la plus redoutable à la fois, la plus sereine et la plus orageuse, l’attente. C’est un virus que vous soignez par des étirements, par un café de distributeur, en discutant, en attrapant un livre ou votre téléphone mobile, mais elle continue sans cesse à augmenter votre fièvre. Vous rougissez, vous ne tenez plus en place, et, soudain, c’est votre tour dans la file, telle ou telle personnes arrive, le match commence. Le virus est finalement vaincu et vous n'êtes que convalescent. Quand reviendra-t-il dans vos veines pour rallumer le feu qui consume le temps ? 

Je suis, comme vous, fréquemment atteint d’attente. Je lis un livre que j’ai apporté ou un magazine qui traîne sur une table ou une brochure publicitaire, je consulte des actualités sur mon téléphone portable, je joue, toujours sur mon smartphone, et, quelques fois j’écoute, j’observe et je note. L’attente devient alors un petit animal de compagnie, tout jeune, tout mignon. J’aimerais qu’il reste auprès de moi plus longuement, que je puisse l'apprivoiser, qu’il me laisse plus de temps de finir d’écrire, de relire et de corriger. Misère, je dois refermer mon calepin.

Vous découvrirez dans ce recueil les petites attentes que j'ai scribouillées en toute hâte, des petites esquisses.

À la terrasse des 4 Mâts, Honfleur, 12 heures 22 minutes. Deux jours après l'ouverture des deuxièmes olympiades de Paris.

L'air est empli de souvenirs et d'embruns de l'enfance, je suis Normand, je connais bien l’endroit. Une mouette crie comme un frein de bicyclette et les hirondelles foncent à toute berzingue. Le transat est chauffé par un soleil de coin de page, juste au-dessus des toits pointus en ardoises. Dans les lucarnes et les chiens assis, j'attends de voir des visages qui ne viennent pas.

Corinne chasse un bourdon en agitant son livre. L'insecte vient bourdonner à mes oreilles, il se plaint de l’agression, puis s'en va vers le port.

Cours de l'Yser à bordeaux, sous un tilleul, en face du numéro 138. 14h25.

Un cordon écarlate suce une borne électrique. La voiture noire affublée de l'épitaphe "style" y est reliée. Un cordon ombilical. La voiture vient d’enfanter la borne. Où sont les sages-femmes?

Subitement, un homme lève le bras, il veut être vu, il surprend mon regard, il salue. L'automobile jaune qui nous croise lui répond, le conducteur montre ses dents blanches dans un sourire épatant. Ils se connaissent. Je ne les connais pas. Il garde sa mimique joyeuse en bouche, figée sous ses dreadlocks, et disparaît vers le marché des Capucins. Combien de temps son bonheur lui restera-t-il entre les dents?

Derrière les immeubles en pierre d’un à deux étages, j'entends des travaux de bâtiment ou de voirie. La tôle des engins mécaniques résonne.

Il y a peu de monde qui passe dans cette rue en ce milieu d'après-midi de juin.

18 octobre 2024, 17h, chambre de la clinique St Augustin.

Les platistes ont raison, le monde est long.

Un enfant malade. Ce n’est pas le mien.

Les pauvres sont des riches qui n’ont pas de vie. Je suis pauvre.

La fenêtre diffuse un documentaire muet sur les nuages. Leur monde me fascine.

Si je meurs, j’aimerais rencontrer Nelson Mandela. Je ne parle pas anglais, ni afrikaans, ni zoulou. Je suppose qu’il y a eu langue commune dans l’au-delà. Dans son nom complet, il y a Rolihlalah. Je souris toujours quand j’entends ou je lis Nelson Rolilhalah Mandela, et, je m’en veux, j’ai l’impression de me moquer de son nom, de l’Afrique, du monde, je suis con, et je ne sais plus où je dois mettre les “h”. J’aimerais revoir ma mère, vite, elle me manque. J'attendrai mon père pour l’accueillir, pour le rassurer, il est toujours tellement paniqué, tant angoissé. J'attendrai le reste de ma famille, ma sœur, mes frères, mes filles, et les neveux et les nièces et cousins cousines tontons tantines, j'attendrai le plus longtemps possible, j’aurai l’éternité devant moi. J’irai à la bibliothèque.

Pas de chapitre.

Ce recueil est accessible dans son intégralité et sera mis à jour régulièrement. 

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